Date de parution : 04/05/2014
Transmettre sa place de marché, un droit que de nombreux commerçants non-sédentaires souhaiteraient pouvoir avoir. Une demande qui est également encouragée par certaines municipalités. Depuis maintenant 10 ans, fédérations et syndicats tentent de faire évoluer la loi dans ce sens. Invitée par l’ADPM lors de cette matinale, consacrée à la succession sur un marché, Sandrine Choux, directrice de l’Union nationale des syndicats de détaillants en fruits, légumes et primeurs (UNFD) et Mihaela Streanga, juriste, sont venues faire le point sur le projet de loi sur lequel l’UNFD a notamment travaillé. Adopté par l’Assemblée nationale en février 2014, ce texte était à l’ordre du jour de la séance publique du Sénat le 17 avril 2014. Certains articles seront prochainement revus par la commission mixte paritaire.
Si aujourd’hui un commerçant sédentaire exerçant en magasin peut transmettre et valoriser son fonds de commerce auprès d’un futur acquéreur, aucun texte de loi n’encadre la transmission de place sur un marché ou la présentation d’un successeur. Et pour cause. Le marché est un emplacement sur le domaine public, il est donc inaliénable. Le commerçant non-sédentaire détient seulement une autorisation d’occupation délivrée par l’autorité administrative compétente (le maire) qui revêt un caractère personnel, précaire et révocable. Impossible pour un professionnel des marchés – même après 40 ans d’activité – de capitaliser et valoriser sa clientèle et son emplacement afin de les transmettre à un potentiel acquéreur.
Principales conséquences : l’offre des marchés risque de s’appauvrir et la concurrence entre les commerçants non-sédentaires peut s’accentuer compte tenu de la forte proportion que représentent, par exemple, les primeurs sur les marchés. Pour endiguer cette menace qui plane au-dessus des marchés, certaines municipalités travaillent avec les commerçants non-sédentaires pour tenter de trouver des solutions. Ensemble, ils peuvent parfois décider de céder la place d’un ancien poissonnier à un nouveau poissonnier, toujours dans le but de conserver un certain équilibre sur le marché. Une pratique qui a un double objectif : pallier un manque d’encadrement juridique spécifique et conserver un marché économiquement viable.
Pour remédier légalement et durablement à ce manque, fédérations et syndicats tentent depuis de nombreuses années de faire évoluer la loi ; parmi eux, l’UNFD. Après plus d’un dix ans, ils semblent avoir été entendus. Début 2014, François Brottes (député SRC de la 5e circonscription de l'Isère) présente à l’Assemblée nationale un amendement modifiant un article du code général des collectivités territoriales sur l’utilisation du domaine public dans le cadre de l’exploitation de certaines activités commerciales. Cet article devrait permettre aux commerçants non-sédentaires exerçant sur un marché, le droit de présenter un successeur à l'autorité administrative gestionnaire. L’article 30 bis est introduit et se présente comme suit :
« Le titulaire d’une autorisation d’occupation exclusive au sein d’une halle ou d’un marché peut, s’il exerce son activité sur cet emplacement depuis au moins trois ans, présenter au maire de la commune concernée une personne comme successeur, en cas de cessation de son fonds. Cette personne, qui doit être immatriculée au registre du commerce et des sociétés, est, en cas d’acceptation par le maire, subrogée dans ses droits et ses obligations.
« En cas de décès du titulaire, le droit de présentation est transmis à ses ayants droit qui peuvent en faire usage au bénéfice de l’un d’eux. A défaut d’exercice dans un délai de six mois à compter du fait générateur, le droit de présentation est caduc. En cas de reprise d’activité par le conjoint du titulaire initial, celui-ci en conserve l’ancienneté pour faire valoir son droit de présentation.
« La décision motivée du maire est notifiée au titulaire du droit de présentation dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande. »
C’est sous cette forme que le texte adopté par l’Assemblée nationale est soumis au Sénat. Le 17 avril 2014, en séance publique, un amendement élargit ce texte aux agriculteurs. Mais Mireille Schurch (sénatrice de l’Allier) demande la suppression pure et simple de l’article 30 bis. Elle estime que celui-ci créé « des obligations indues aux collectivités » et qu’il est préférable de s’en tenir à l’existant qui « convient très bien aux élus locaux, lesquels sont tout à fait capables d’établir leur propre règlement de marché ». Or, force est de constater que de nombreuses communes ne disposent pas de règlement de marché.
Les sénateurs décident, dans la foulée, de modifier l’article 30 ter qui révisait le problème des terrasses de brasseries, camions pizzas… sur le domaine public. Rectifié, cet article se rapproche de l’article 30 bis. L’article 30 ter est ainsi rédigé :
« Art. L. 2124-32-1. Un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l’existence d’une clientèle propre.
« Art. L. 21224-33. Toute personne souhaitant se porter acquéreur d’un fonds de commerce ou d’un fonds agricole peut, par anticipation, demander à l’autorité compétente une autorisation temporaire publique artificielle pour l’exploitation de ce fonds.
« L’autorisation est valable à compter de la réception par l’autorité compétente de la preuve de la réalisation de la cession de fonds.
« Art. L.2124-34. En cas de décès d’une personne physique exploitant un fonds de commerce ou un fonds agricole, l’autorité compétente délivre à la demande de ses ayants droit, sauf si un motif d’intérêt général s’y oppose, une autorisation d’occupation temporaire du domaine public identique à celle accordée à l’ancien titulaire pour la seule poursuite de l’exploitation du fonds, durant trois mois.
« Si les ayants droit ne poursuivent pas l’exploitation du fonds, ils peuvent, dans le délai de six mois à compter du décès, présenter à l’autorité compétente une personne comme successeur. En cas d’acception de l’autorité compétente, cette personne est subrogée dans les droits et obligations de l’ancien titulaire.
« La décision est notifiée aux ayants droit ayant sollicité l’autorisation ou ayant présenté un successeur ainsi que, le cas échéant, au successeur présenté. Toute décision de refus est motivée. »
Schématiquement, l’article 30 ter permettrait, par exemple, à un poissonnier qui souhaite un emplacement sur un marché et qui sait qu’un professionnel du marché veut cesser son activité, de demander au maire (autorité compétente) s’il peut reprendre le fonds du professionnel souhaitant arrêter son activité. Si le maire accepte, le poissonnier doit revenir voir l’autorité compétente avec l’acte de cession. Mais cet article laisse en suspens des questions. Par exemple, aucune condition d’ancienneté n’est indiquée pour le commerçant souhaitant céder son emplacement. De plus, dans le cas d’un décès, l’article 30 ter prévoit que les ayants droit disposent d’une autorisation temporaire de 3 mois, sans aucune autre précision pour la suite, contrairement à ce qu’indiquait l’article 30 bis. L’article 30 bis, spécifique aux marchés, encadrait lui, réellement la présentation d’un successeur.
Aujourd’hui, l’article 30 ter doit être revu en commission mixte paritaire. Cette dernière composée de 7 députés et 7 sénateurs devrait, d’ici quelques semaines, proposer un texte commun, si un accord est trouvé. Texte qui devra être voté par les deux assemblées (Assemblée nationale et Sénat), sachant que l’Assemblée nationale a le dernier mot.
Si de nombreuses interrogations demeurent, notamment sur l’acte de cession, d’ici la fin du mois de juin, un texte pourrait permettre d’avoir des bases juridiques rendant possible la présentation d’un successeur sur un marché, confortant la place dans l’économie locale du territoire de ces circuits de distribution de proximité.
o Pour aller plus loin : L'ADPM vous propose d'en savoir plus sur l'adoption d'une loi en procédure accélérée grâce à un schéma simplifié reprennant les différentes étapes de la proposition d'un texte au vote de la loi.